En République démocratique du Congo (RDC), environ 30 civils non armés ont été tués par des hommes en uniforme assimilés aux éléments des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) depuis 2022 en Ituri, province sous état de siège bientôt 4 ans. Dans cette administration spéciale, les pouvoirs sont confiés aux militaires et policiers.
Décryptage de buniaactualite.cd ce dimanche 16 mars 2025 sur base des informations relayées par des médias locaux et internationaux sur différents cas de meurtre de civils par des présumés militaires des FARDC dans divers coins de l’Ituri.
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Au total, c’est environ 30 civils qui ont été tués, sans compter ceux blessés par balles tirées par des hommes en uniforme identifiés aux éléments des FARDC. Des chiffres comptabilisés auprès des organisations des droits humains et des informations relayées par des médias. 7 en 2022, 15 en 2023, 4 en 2024 et 4 en 2025.
Événements tragiques
Il s’agit d’une série d’événements tragiques. La protection des personnes et de leurs biens incombe pourtant aux services de sécurité, dont l’armée nationale et la police, font remarquer certains habitants choqués.
Le récent cas d’un meurtre remonte à la journée du vendredi 14 mars 2025 à Bunia, non loin de l’aéroport de Murongo. À bout portant, Amuri Bahati, un militaire des FARDC du 3206ᵉ régiment, a tiré sur plusieurs personnes non armées, identifiées comme des civils.
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Ce soldat de première classe, en état d’ébriété selon les sources officielles, a tué 4 civils, dont 3 agents de l’Institut supérieur médical (ISTM-Bunia). Deux autres personnes ont été grièvement blessées, dont des étudiants. Un événement tragique qui a entraîné condamnation et consternation.
Outre les 4 personnes récemment tuées à mi-mars 2025 à Bunia par un militaire, ce décompte démarre avec un incident dramatique survenu à Djugu, rapporté le 18 avril 2022 par la radio France Internationale, impliquant un militaire des FARDC en état d’ivresse.
C’est à Bambu, dans le territoire de Djugu, que ce militaire avait d’abord tiré à bout portant sur son chef d’unité, un lieutenant-colonel, avant de neutraliser ses deux gardes du corps. Outre ces 3 militaires tués, 5 civils ont perdu la vie, portant le bilan à 8 morts. Face à cet incident, le lieutenant Jules Ngongo a indiqué que cette fusillade est un cas isolé d’indiscipline, qui « ne peut pas entamer la discipline militaire au sein des unités engagées sur le terrain des opérations ».
Le 09 juillet 2022, des médias locaux ont rapporté le meurtre d’un civil du nom de Sengi Shadrack à Otomaber, entité du Sud du territoire d’Irumu dans la province de l’Ituri. Présenté comme un ancien chef technique de la Radio nouvelle horizon de Ndimo, ce jeune a été assassiné le vendredi 08 juillet par un élément présumé des FARDC. Information rapportée par la CRDH antenne d’Irumu. Avant sa mort, il était réparateur de motos. Une incompréhension autour de la réparation de l’engin du militaire meurtrier aurait déclenché cet incident.
Vendredi 26 août 2022, un militaire des FARDC du 3206ᵉ régiment basé à Komanda, important centre du territoire d’Irumu, a tué deux personnes par balle avant de se donner la mort. Il y avait également 3 blessés.
L’auditorat militaire s’était saisi du dossier pour enquêter. Il avait tué un soldat et son épouse. Ce drame avait entraîné une vive panique à Komanda, selon la société civile locale. 7 civils tués en 2022
Environ une année après, soit le dimanche 23 juillet 2023, un drame s’est déroulé à Tchomia. Une date douloureuse pour des habitants de cette région lacustre en territoire de Djugu. Ce jour-là, 13 civils ont été tués par un élément des FARDC.
Parmi les victimes, il y avait 9 enfants. Le militaire incriminé était identifié comme un élément de la force navale, selon des sources locales et militaires.
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Une semaine après, soit le dimanche 30 juillet 2023, un chauffeur a été tué sur l’axe routier Bunia-Mongbwalu par un élément des FARDC, précisément à Poipo. Acte déploré à l’époque par Bienvenu Lumery, membre de l’association des chauffeurs du Congo (ACCO).
À la base de ce cas de meurtre, un cas d’accident entre le véhicule du chauffeur tué et une jeep dans laquelle se trouvait un officier de l’armée, selon des informations rapportées par des médias.
Mercredi 02 août 2023, soit quelques mois seulement après le drame de Tchomia, un élément de la police nationale congolaise (PNC) a tué un civil à Bunia, chef-lieu de la province de l’Ituri. C’est au quartier Ndibakodu que cet incident est survenu.
Une incompréhension entre cet agent de l’ordre et la victime qui a dégénéré jusqu’à la mort. Selon le commandant de la police à Bunia, Abeli Mwangu, qui avait confirmé l’information, les deux personnes ont agi sous état d’ivresse. 15 civils tués en 2023.
Jeudi 22 février 2024, des médias en Ituri ont rapporté le meurtre d’un professionnel de média, directeur des programmes de la radio Umoja Mungamba en territoire d’Irumu. Selon la famille de la victime et des journalistes locaux, c’est un élément présumé des FARDC qui a été l’auteur de cet assassinat.
Du côté du territoire de Mambasa, un élément de la 31ᵉ brigade de défense principale s’est suicidé le samedi 04 mai 2024. Peu avant son suicide, le nommé Alpha a tué son propre fils âgé de moins de 4 ans et tiré sur son ancienne épouse, grièvement blessée.
Une histoire de conflit conjugal et tentative ratée de réconciliation aurait été à la base de cet incident, survenu vers la carrière Mopa, à l’est du village Bafwambaya, à 47 kilomètres de Niania sur la route Isiro.
Le 27 septembre 2024, la COARDHO Irumu a rapporté le meurtre de Siméon, un jeune âgé de 19 ans. Selon cette organisation, la victime a été tuée à Mungamba par un élément des FARDC, à quelques kilomètres de Komanda centre. Le militaire impliqué dans ce cas de meurtre était de l’unité Léopards, selon la même source, citée par des médias de l’Ituri.
Jeudi 12 décembre 2024, un cas de fusillade impliquant un militaire a occasionné la mort d’une femme et deux blessés en ville de Bunia. Le drame a été documenté au quartier Salongo, en commune de Nyakasanza, au chef-lieu de la province.
« Les commandants des grandes unités doivent gérer les hommes sous leurs responsabilités… La police militaire doit traquer tous les militaires en divagation », avait insisté le lieutenant Jules Ngongo, conseiller en communication du lieutenant général Luboya N’kashama Johnny, gouverneur militaire de l’Ituri. 4 civils tués en 2024.
Ivresse, traumatisme ou indiscipline ?
Dans de nombreux cas de meurtre impliquant un élément des services de sécurité (policier ou militaire FARDC), c’est l’ivresse qui est présentée comme première raison. Ces éléments de l’armée ou de la police agissent, dans la plupart des cas, en état d’ivresse, pendant que le fonctionnement de leur cerveau est altéré par des substances chimiques.
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Lundi 31 décembre 2024, le parlement des jeunes de l’Ituri a déploré l’implication de certains militaires ou policiers dans la commercialisation et la consommation des boissons fortement alcoolisées et du chanvre à fumer.
« Ce qui étonne, ce sont ceux-là qui devraient en principe combattre ce fléau et qui sont en train de les vendre », avait dénoncé à la presse Gloire Ibrahim Abasi.
Face à cette dénonciation, l’armée, à travers son porte-parole le lieutenant Jules Ngongo, avait promis de mener des investigations.
Pour le Parlement des Jeunes, il est important que des mesures concrètes et exemplaires soient prises en vue de sauver des vies. La lutte contre les boissons fortement alcoolisées a également constitué une des promesses de madame la procureure générale près la cour d’appel de l’Ituri, lors de la rentrée judiciaire.
Certains estiment que cet agissement de certains militaires égarés ou incontrôlés est consécutif au traumatisme, suite à différents combats menés parfois durant plusieurs mois aux fronts, sans relèvement. Un activiste des droits humains a même exhorté la hiérarchie militaire à pouvoir mener régulièrement des remplacements, ou mieux, des relèvements de militaires pour éviter certains mauvais comportements.
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Par-dessus tout, « la discipline est la mère de l’armée », a toujours rappelé le lieutenant Jules Ngongo, porte-parole des FARDC depuis plusieurs années en Ituri.
Pour faire régner la discipline, la justice militaire est souvent mise en contribution. Des militaires arrêtés pour toute infraction sont généralement jugés dans une procédure mettant en première ligne la célérité.
Lors du drame enregistré le 14 mars à Bunia, une audience foraine s’était d’ailleurs ouverte juste quelques minutes après la commission du drame.
Interrompue suite à l’agitation et à la colère, ce procès en matière de flagrance visant à punir sévèrement ce militaire incriminé si jamais il est reconnu coupable pourrait reprendre incessamment.
En 2023, le militaire auteur de la tuerie de 13 civils à Tchomia a été condamné à mort par le tribunal militaire de garnison de l’Ituri à Bunia, siégeant en chambres foraines en matière répressive à Kasenyi, au bord du lac Albert.
Outre des efforts déployés pour punir sévèrement des militaires impliqués dans diverses formes d’ anti-valeurs, dont la consommation et le trafic des stupéfiants, le meurtre de civils, etc., un internaute suggère des sanctions aux commandants des unités qui ne « contrôlent efficacement pas leurs hommes ».
Parmi des solutions, un acteur politique de l’Ituri a suggéré l’installation de tous les militaires dans des camps, et non au sein des habitants, dans des quartiers et avenues. Dans cette optique, une autorité communale de Bunia a récemment demandé aux militaires de la garde républicaine de s’installer dans des camps, et non aux quartiers.
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Luboya N’kashama Johnny, gouverneur militaire de l’Ituri et commandant des opérations militaires depuis bientôt 4 ans, a insisté fin 2024 sur la discipline au sein de l’armée.
« Nous sommes là pour sécuriser la population. Il fallait leur donner les instructions sur les comportements », avait relayé lundi 23 décembre 2024 le général major Ntambuka Urbain, commandant de la 32e région militaire, parlant au nom de Luboya lors d’une parade mixte PNC-FARDC.
Outre les menaces des rebelles ougandais ADF et, dans une certaine mesure, celles des rebelles du M23, la province de l’Ituri fait face depuis fin 2017 à l’activisme des groupes armés locaux. La milice de la CODECO reste l’une des plus actives, citée dans l’instabilité sécuritaire principalement en territoire de Djugu. Zaïre ou encore Maï-Maï sont aussi par moments cités dans certaines formes d’instabilité sécuritaire. Les FARDC sont donc censées faire face à tous ces groupes armés qui, pour la plupart, sont signataires d’actes d’engagement de paix qu’ils peinent à respecter.
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Rédaction