4 ans se sont écoulés depuis l’instauration de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, provinces se trouvant dans le Nord-Est et dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Pour l’Ituri, le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny, Gouverneur militaire, est-il le messie ou le diable ?
Durant les 4 ans de cette administration spéciale très controversée par certains acteurs sociopolitiques de l’Est de la RDC, l’état de siège est pourtant « imperturbable et quasi éternel ». De seulement 30 jours et pour une prorogation de 15 jours, l’état de siège a dépassé le caractère « d’une administration exceptionnelle, rapide et passagère ».
Plus de 1460 jours se sont déjà écoulés depuis son instauration. En Ituri, l’image de l’état de siège repose principalement sur un nom : le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny.
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Luboya : le messie ou sauveur ?
« Je serai sans état d’âme. » Cette phrase, simple, mais « puissante », a été la première largement connue de la première intervention du lieutenant général Luboya N’kashama Johnny, le jour où il a foulé le sol de Bunia, il y a 4 ans.
De cette phase, beaucoup l’ont pris comme un sauveur ou libérateur. Luboya arrive, à l’époque, dans une province déchirée par la crise institutionnelle, mais aussi et surtout dans la crise sécuritaire.
Pour ceux qui prennent Luboya pour un libérateur, messie ou sauveur, ils avancent plusieurs points, reconstitués par buniaactualite.cd à travers différentes interventions à la presse ou sur les réseaux sociaux.
Amélioration de la situation sécuritaire. Présentant le bilan de 4 ans de l’état de siège, le lieutenant Jules Ngongo, bras droit du gouverneur Luboya, a estimé que la situation sécuritaire s’est nettement améliorée par rapport à la période avant l’état de siège.
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Des pro Luboya mettent en avant la fluidité du trafic sur la route nationale numéro 27, la signature d’acte d’engagement unilatéral de cessation des hostilités par quasiment tous les groupes armés locaux, le retour de certains déplacés chez eux, notamment dans le territoire d’Irumu (région de Boga…), l’arrestation de certains présumés criminels, et bien d’autres. De manière spécifique, la non progression du M23 vers l’Ituri, malgré l’intention de ce mouvement rebelle prorwandais d’y avoir déjà des ramifications en Ituri au début.
Dans ce panier, des jugements à l’encontre de certains officiers et militaires des FARDC impliqués dans l’indiscipline, le trafic d’armes… sont également mis à l’actif de Luboya, faisant de lui « un acteur de changement ».
Durant les 4 ans, l’un des points les plus marquants, selon les proches soutiens de Luboya, c’est aussi et surtout l’asphaltage de la voirie urbaine de Bunia. Plusieurs kilomètres ont été asphaltés, revêtant la ville de Bunia d’une nouvelle robe. Certaines infrastructures majeures ont été soit réhabilitées, soit construites, comme le cas du bureau administratif du territoire d’Irumu.
Le projet de la construction d’une université moderne en Ituri (UNIBU à Tsere), la reconstruction de l’aéroport de Bunia, le projet de 145 territoires permettant la construction de certaines infrastructures de base à travers l’Ituri… sont aussi parmi les projets majeurs mis à l’actif de Luboya.
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Pour certains, c’est « grâce à la sécurité et confiance instaurées par Luboya » que des maisons naissent comme des champignons à travers différents coins de Bunia et de l’Ituri, témoignant d’un développement « fulgurant ». Le gouvernorat de l’Ituri a été réhabilité, donnant le courage à d’autres habitants de l’Ituri de suivre ce pas du développement et du changement.
Luboya est aussi considéré comme un « bon commandant des opérations » et « un bon acteur politique », car accumulant les deux rôles depuis son arrivée, selon l’esprit de l’ordonnance instaurant cette administration spéciale. D’abord, ses nombreux plaidoyers auprès de sa hiérarchie, même directement auprès de Tshisekedi, pour obtenir l’amélioration de la prise en charge des militaires aux combats, les questions de l’effectif… et autres.
Ensuite, son sens du lobbying et de présence manifeste pour l’intérêt général de l’Ituri et des militaires. Ceux qui sont satisfaits de son bilan veulent voir Luboya encore pendant très longtemps à la tête de l’Ituri, car il est considéré comme un messie pour cette province, estiment-ils.
Luboya : le diable ?
« Le malheur de l’Ituri », c’est Luboya, estiment par contre ceux qui ne sont pas satisfaits de ses 4 ans à la tête de l’Ituri. Parmi des acteurs politiques et membres de la société civile, une opposition farouche contre ce régime spécial a été déclenchée, spécifiquement contre Luboya.
« Au cœur du malheur de l’Ituri », Luboya est considéré parfois comme étant lui-même le problème de l’Ituri. Dans les différentes sorties médiatiques de cette deuxième catégorie, il est notamment reproché au gouverneur de n’avoir pas réussi à instaurer la paix, pourtant sa principale mission en Ituri.
Naissance de nombreux autres groupes armés sous l’état de siège. L’Ituri, à l’image du Nord-Kivu, se distingue par la prolifération des groupes armés. Malgré un pas remarquable dans le processus de désarmement déclenché sous l’état de siège, aucun groupe armé n’est, jusqu’à présent, officiellement dissout, faisant de l’Ituri l’une des régions principales de la RDC où se concentrent de nombreux groupes armés très actifs et violents.
De la milice CODECO à Zaïre, l’Ituri fait face maintenant à une autre milice très médiatisée, la CRP, associée à Thomas Lubanga. Ces groupes armés, sans parler du mouvement rebelle ADF, sont toujours actifs, tuent, pillent, violent, incendient… malgré la signature d’actes d’engagement unilatéral de cessation des hostilités par certains parmi eux. Une situation qui justifierait encore la présence de l’état de siège.
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Jugeant l’état de siège « d’un échec », certains estiment que le déploiement massif des troupes ougandaises en Ituri dans Irumu, Mahagi, Djugu et Bunia témoigne de « l’inefficacité » des actions menées par Luboya, pourtant en tête du commandement des opérations militaires en Ituri depuis 4 ans.
« Divisé pour mieux régner », c’est aussi un point négatif attribué au gestionnaire de la province par ces « détracteurs » qui ne le considèrent pas comme « un rassembleur» dans une province qui a pourtant besoin d’une cohésion sociale. Il est aussi accusé d’être derrière l’arrestation de certains notables de l’Ituri pour une présumée collaboration avec le M23. La crise institutionnelle persistante entre l’assemblée provinciale et l’administration militaire sous état de siège est aussi soulevée comme une autre faiblesse.
S’agissant de la réhabilitation de la voirie urbaine par Mont Gabaon, certains observateurs estiment plutôt que ce sont des ressources financières de Kinshasa, à ne pas mettre sur l’actif de Luboya, car le projet initié par le gouvernement provincial précédent attribuant le marché à Safricas pour une dizaine de kilomètres n’a jamais été un succès sous l’état de siège. Durant 4 ans de collecte d’argent par l’état de siège, les travaux de Safricas peinent à se terminer.
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L’opacité dans la gestion financière des ressources financières de la province est aussi un autre sujet majeur.
Depuis 4 ans, personne ne sait dire combien d’argent l’état de siège a coûté à Kinshasa, combien d’argent a été mobilisé par la DGRPI… De quelle manière cet argent a été utilisé, comment les dépenses ont été affectées. Sans un contrôle parlementaire, la capacité de gestion de Luboya est remise en cause, notamment par certains députés. A la fin de l’état de siège, certains acteurs politiques exigent même le passage de l’inspection générale des finances IGF, pour contrôler la gestion de Luboya.
Malgré l’état de siège, la présence de militaires dans de sites miniers est toujours dénoncée par des organisations de la société civile, notamment à Mambasa. Interdite pourtant par la loi, cette présence d’éléments de l’armée et de la police dans la sécurisation des sites miniers, notamment ceux de chinois continue à soulever des interrogations alors que l’Ituri fait face à un problème d’effectif des militaires, selon le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny. L’état de siège n’a pas pu stopper les tracasseries militaires, estiment certains habitants. Sur la route Bunia-Kasenyi ou encore la RN 27 et d’autres axes routiers, chaque passager ou engin roulant est obligé de payer une somme jugée d’illégale aux militaires.
Dans des sorties médiatiques et sur les réseaux sociaux, d’autres personnes estiment aussi que la politique ne devrait pas marcher avec l’armée.
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D’un côté, certains acteurs politiques et sociaux soutiennent l’état de siège et Luboya ; de l’autre, exigent la fin de ce régime spécial et le départ de Luboya. Malgré des pressions, l’état de siège est encore là depuis 4 ans, et continuera peut-être jusqu’à très longtemps, dans un pays où c’est la majorité présidentielle qui domine au parlement.
David Ramazani