Pourquoi Bunia ne marche pas contre l’agression rwandaise comme d’autres villes de la République démocratique du Congo (RDC) ? C’est la question que se posent certains habitants de ce chef-lieu de la province de l’Ituri, ces derniers jours.
Buniaactualite.cd s’est penché sur la question, en essayant de réunir un certain nombre d’éléments de réponses, pas nécessairement convaincantes.
Depuis la prise de la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu par l’armée rwandaise et le M23, plusieurs coins de la République démocratique du Congo se sont mobilisés pour dénoncer cette agression rwandaise.
Bukavu et Kinshasa ont été parmi les premières villes où des milliers de personnes ont manifesté publiquement contre cette menace étrange. Si à Bukavu aucun incident majeur n’a été documenté, à Kinshasa par contre de nombreux dégâts ont été enregistrés, allant même jusqu’à la destruction de certaines ambassades. Des actes condamnés par plusieurs pays. Pour éviter tout nouveau débordement, le Gouverneur de la ville province de Kinshasa a procédé à l’interdiction de toute nouvelle manifestation.
Beni, Durba, Mambasa et plusieurs autres régions du pays ont par la suite organisé des marches pacifiques en soutien aux efforts des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) engagées dans des combats contre les terroristes du M23.
Bunia, un cas particulier ?
La soirée du 27 janvier 2025, un message non signé a circulé sur les réseaux sociaux à Bunia, appelant la population à manifester contre toutes les agences des Nations unies suite à leur « passivité » dans le rétablissement de la paix dans l’Est de la RDC.
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Un jour plus tard, soit le 28 janvier, certaines boutiques n’ont pas ouvert à Bunia dans certains coins. Une matinée donc peu mouvementée.

La coordination provinciale de la société civile qui encourage les FARDC s’est montrée très critique face au message appelant la population à manifester. Pour elle, « aucune ville morte » n’a été décrétée. Son vice-coordinateur a même encouragé l’arrestation des auteurs de ce faux message.
Par la suite, la représentation des étudiants du Congo, section de l’Ituri, a également tenté de manifester, conformément à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire. Là encore, elle n’a pas obtenu une autorisation officielle des autorités compétentes.
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Dans sa communication à la presse après la prise de la ville de Goma par les agresseurs, le lieutenant Jules Ngongo a eu à rassurer toute la population de l’Ituri sur les dispositions sécuritaires prises, tout en l’invitant à maintenir la collaboration avec les services de sécurité.
Une mobilisation différente ?
Dans un message du rapporteur du conseil provincial de la jeunesse rendu public en date du 28 janvier 2025, cette structure a été ferme.
« Interdiction formelle de toutes mobilisations pour des marches de soutien organisées par les jeunes sans l’autorisation des autorités compétentes et l’avis favorable du CPJ-Ituri, en attendant les instructions du gouverneur militaire », peut-on lire au titre de ce message.
Pour ledit conseil, les jeunes doivent privilégier des actions pacifiques, coordonnées avec les autorités pour garantir l’ordre public et la sécurité. Les attaques contre Goma et les agressions terroristes rwandaises RDF-AFC-M23 ont également été condamnées par cette structure.
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Certaines sources parlent de la crainte d’infiltration de la ville ainsi que du débordement de la marche. La plus grande dernière marche organisée à Bunia avait amené à la destruction de plusieurs édifices publics et privés, sans parler des cas d’arrestation de certaines jeunes du quartier Saïo.
D’autres par contre pensent que des marches pacifiques ne sont pas « des solutions à la crise securitaire actuelle, surtout avec la menace rwandaise sur le territoire congolais », a estimé sous l’anonymat un habitant de Bunia.
Pendant ce temps, le maire de la ville de Bunia mobilise sa population contre toute éventuelle infiltration dans cette importante agglomération de la province de l’Ituri.
Lundi 3 février, le commissaire supérieur principal Kola Bosco est allé même plus loin en interdisant des réunions sans autorisation préalable. « Toute réunion clandestine sans document de la mairie sera sanctionnée. »
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Pour soutenir les FARDC et la PNC, le patron de l’état de siège en ville de Bunia a lancé une campagne de collecte de dons en faveur de ces hommes en uniforme qui combattent pour la sauvegarde de l’intégrité territoriale de la RDC.
« Nous devons appuyer nos forces armées », a insisté le maire de la ville, visiblement convaincu d’une autre façon de soutenir l’armée contre l’agression rwandaise, pas nécessairement dans la rue.
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Par ailleurs, certains habitants de Bunia pensent que la situation sécuritaire de l’Ituri n’a jamais mobilisé d’autres villes de la République démocratique du Congo (RDC). Aucune marche organisée pour dénoncer la tuerie des civils dans cette partie du pays.
Depuis fin 2017, plusieurs centaines de personnes ont été tuées en Ituri, principalement par des groupes armés locaux et le mouvement terroriste ADF. Le dernier bilan de l’attaque des rebelles ADF pour une période d’un mois s’élève à environ 100 civils tués, selon le dernier rapport de l’ONG CRDH, spécialisée dans le monitoring des incidents sécuritaires à Irumu et Mambasa.
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Malgré des efforts des animateurs de l’état de siège ces dernières années en Ituri et de la coalition FARDC-UPDF, certains habitants continuent à vivre loin de chez eux en état de déplacement, dans de nombreux sites à travers la province. Ces déplacés traversent aussi par moments des conditions humanitaires précaires.
La situation de Goma, avec l’occupation de la ville par des éléments de l’armée rwandaise et du M23, pousse certains analystes à solliciter également le regard de Kinshasa sur la situation sécuritaire de l’Ituri, bien que relativement calme, mais toujours volatile. La présence d’un groupe armé étranger, à l’instar des rebelles ougandais des ADF, « est une situation qui inquiète ».
David Ramazani