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    Il y a 3 ans, le nom du lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny était peu connu en Ituri, tout comme l’état de siège. Du quasi inconnu au connu, aujourd’hui, celui qui tient la commande de cette province du Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC) n’est plus à présenter. Le régime spécial décrété pour quelque temps semble éternel, mais quoi qu’il en soit, il sera levé un jour. Alors, Luboya sera-t-il le prochain gouverneur civil de l’Ituri après l’état de siège ?

    D’une première lecture, la question peut paraître à la fois banale et prématurée. L’état de siège est en vigueur depuis maintenant 3 ans, et le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny est un militaire en plein exercice. Cependant, elle mérite d’être posée maintenant au regard de plusieurs facteurs.

    Luboya peut-il devenir le gouverneur civil de l’Ituri ?

    Il n’est pas impossible que l’actuel gouverneur militaire de la province de l’Ituri sous état de siège devienne, après ce régime spécial, l’autorité provinciale civile. En tant que citoyen congolais, il a le droit de postuler pour la course à la tête du gouvernorat de l’Ituri comme toute autre personne de nationalité congolaise.

    Déjà, le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny est, depuis l’avènement de la province de l’Ituri, l’autorité provinciale qui a duré beaucoup plus longtemps en tant que gouverneur, mais aussi et surtout, sans être trop bousculé par des députés provinciaux. Il n’y a pas une Assemblée provinciale, l’organe censé contrôler l’exécutif provincial. En province, il règne sans être contrôlé par les élus du peuple.

    Cependant, être nommé et parvenir à gagner aux élections ne riment nécessairement pas… Il va falloir gagner aux élections. Bamanisa, le gouverneur déchu avant l’état de siège, a réussi à gagner la course au gouvernorat sans que son parti ou son regroupement n’ait des députés provinciaux. Le même scénario peut aussi se produire.

    Certaines personnes, dans leur façon de voir les choses, pensent que Luboya est le meilleur gouverneur que l’Ituri a connu depuis son avènement. Ces pro-Luboya avancent les efforts de restauration de la paix et de reconstruction de l’Ituri comme acquis de l’état de siège pendant son règne.

    Ils citent l’asphaltage de plus de 20 km de la voirie urbaine de Bunia, la réhabilitation en terre battue de plusieurs tronçons routiers à travers la province, la construction ou la réhabilitation de nombreuses infrastructures, dont le gouvernorat ou encore la modernisation de l’aéroport national de Bunia.

    Ceux qui pensent que Luboya mérite de rester longtemps jugent positif le bilan sécuritaire. Baisse de l’insécurité, signature d’actes d’engagement de paix par des groupes armés, retour des déplacés dans leurs villages, etc. Autant de raisons valables, pour eux, pour que le lieutenant-général Luboya N’kashama revienne encore, même après la levée de l’état de siège.

    Par ailleurs, certains analystes voient juste le contraire. Luboya a échoué sur tous les plans, soutiennent-ils. Ils estiment que l’asphaltage de la voirie urbaine est à comprendre sur deux dimensions : taxe conventionnelle entre les pétroliers et les consommateurs du carburant à la pompe (initiative de Bamanisa), ainsi que le financement du gouvernement central pour asphalter la voirie urbaine. Donc, à les en croire, l’administration militaire n’a rien financé en termes de l’asphaltage de la voirie urbaine.

    Cette deuxième catégorie de personnes juge négatif le bilan sécuritaire, pourtant, la mission première de l’état de siège est de restaurer la paix. Aucun groupe armé neutralisé, la poursuite des tueries de civils, la dégradation des routes de dessertes agricoles, le délabrement de certains ponts et axes routiers nationaux, la criminalité urbaine, etc. De quoi demander la levée de l’état de siège et revenir à l’administration normale pour que les civils reprennent la commande.

    Malgré la divergence d’opinion, il revient seul aux députés provinciaux d’en décider. C’est eux qui élisent, jusqu’à la preuve du contraire, les gouverneurs et vice-gouverneurs, tenant compte de différents facteurs qu’eux-mêmes connaissent.

    Cependant, gérer en tant que civil élu et un militaire nommé, n’est pas gouverné dans un même contexte. Il va falloir accepter d’être contrôlé par l’assemblée provinciale, prendre en charge les dépenses des membres du gouvernement provincial et de l’assemblée provinciale… Des charges non prises en compte pendant l’administration militaire.

    D’autres observateurs vont même plus loin. Ils pensent que, dans une province où certaines communautés sont citées de soutenir directement ou indirectement des groupes armés, il faudrait que les dirigeants de l’Ituri viennent, notamment ceux du gouvernorat,  d’autres coins de la République, n’appartenant pas aux 21 communautés de l’Ituri. Le cas de Luboya. Une thèse qui ne fait pas l’unanimité dans la classe politique iturienne, allant même à être rejetée.

    Pour se lancer dans la course au gouvernorat en Ituri, que doit faire Luboya ?

    En principe, un militaire ne peut pas faire la politique. Si des militaires et des policiers se retrouvent à la commande des provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu depuis maintenant 3 ans, c’est à travers une ordonnance décrétant un régime spécial : l’état de siège.

    Dans cette analyse, nous avons interrogé des lois de la République démocratique du Congo (RDC). La loi n° 81-003 du 17 juillet 1981, portant sur le statut du personnel des carrières des services publics de l’État qui régissait également le personnel militaire, ne prenait guère en compte la spécificité de la fonction militaire. Avec les nouvelles lois, les questions spécifiques ont été abordées.

    La loi organique n° 11-012 portant sur l’organisation et le fonctionnement des forces armées et la loi n° 13/005 du 15 janvier 2013 portant sur le statut du militaire des forces armées de la République démocratique du Congo, sont les deux principaux textes juridiques qui intéressent notre analyse.

    En vertu de l’article 5 de la loi de 2013 précitée, « les Forces armées de la République démocratique du Congo sont républicaines. Elles sont au service de la nation toute entière.
    Nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres », précise cette disposition légale, qui insiste sur le fait qu’elles « sont apolitiques et soumises à l’autorité civile ».

    Si Luboya demeure dans les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) après l’état de siège, il ne peut pas postuler comme candidat gouverneur. Outre l’article 5, l’article 20 martèle :

    « Il est interdit au militaire : 
    1. d’exercer le commerce directement ou par personne interposée ; 
    2. d’accepter tout mandat électif ; 
    3. D’adhérer ou de prêter son concours à un mouvement, groupement, organisation ou association à caractère politique, ethnique ou tribal ».

    Pour que Luboya se lance officiellement dans la politique comme Amuli Bahigwa (ex patron de la Police en RDC), il faut obéir à la cessation définitive de service, telle qu’énumère l’article 171 de la loi de 2013 susmentionnée.

    « La cessation définitive de services entraîne la perte de la qualité d’agent du cadre des officiers ou des sous-officiers de carrière.
    Les modes de cessation de service sont : 
    1. la démission volontaire ; 
    2. la démission d’office ou de plein droit ; 
    3. La réforme ; 
    4. La retraite ; 
    5. La révocation ; 
    6. Le décès ».

    De cette disposition, 3 éléments retiennent l’attention. La démission volontaire, la démission d’office ou de plein droit ainsi que la retraite.

    Même si le lieutenant-général Luboya N’kashama Johnny démissionnait de l’armée après l’état de siège, il va falloir encore attendre quelque temps pour que sa demande soit prise en compte par sa hiérarchie. Ce qui limite ses chances de se présenter directement à la course au gouvernorat d’une manière directe.

    Les informations parvenues à buniaactualite.cd indiquent que Luboya est né en 1966. Il a donc environ 58 ans. L’article 184 de la loi de 2013 qui aborde la question de la retraite renseigne que la « retraite est un droit ». Pour les officiers généraux dont le lieutenant-général, la limite d’âge est fixée à 59 ans.

    Au regard de ces éléments, le lieutenant-général Luboya N’kashama peut s’engager à la course au gouvernorat de la province de l’Ituri si il le souhaite, mais pas tout de suite après l’état de siège, car il y a des préalables à observer scrupuleusement. L’autre possibilité est la nomination des gouverneurs, ce que la loi ne prévoit pas encore actuellement. Pendant ce temps à Kinshasa, dans des salons politiques, la question de la modification de la Constitution est à la une. Mais on en est pas encore là.

    Jusqu’aujourd’hui, Luboya n’a jamais caché son intention de partir de l’Ituri, répondant à ceux qui veulent sa tête. « Je suis prêt à partir maintenant », a-t-il toujours insisté. S’agissant de revenir en Ituri comme un homme politique, il ne s’est officiellement jamais prononcé. Mais rien n’empêche que cela survienne un jour, car l’Ituri est le seul endroit où il a combiné la politique et l’armée.

    Se faire élire gouverneur civil après l’état de siège ne sera pas facile. De nombreux autres politiciens se préparent déjà pour la course au gouvernorat de l’Ituri. Jusqu’aujourd’hui, tout n’est pas encore « rose » dans cette province du Nord-Est de la République démocratique du Congo (RDC), où l’insécurité n’est pas encore « totalement » éradiquée, malgré la signature d’acte d’engagement par des groupes armés locaux. Les terroristes ADF sont aussi présents dans les territoires de Mambasa et d’Irumu, en dépit des efforts des autorités compétentes.

    David Ramazani

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