« Évaluation de l’état de siège : Maintien, requalification ou levée, quel avenir pour l’ituri ? Analyse approfondie des défis politiques et sécuritaires en Ituri », titre Deogratias Bungamuzi Kukwabo, dans une tribune partagée sur les réseaux sociaux ce vendredi 15 novembre 2024.
Buniaactualite.cd vous repartage ci-dessous l’intégralité de cette réflexion et analyse de monsieur Bungamuzi, l’une des figures connues de la jeunesse iturienne.⤵️
Depuis l’illustre de temps, la situation complexe de l’Ituri résulte d’une combinaison de tensions historiques, de failles institutionnelles et d’enjeux économiques exacerbés. Raison pour laquelle notre analyse sur l’avenir politique et sécuritaire de cette province a tenu compte d’une compréhension fine des dynamiques communautaires, des insuffisances des mécanismes étatiques et des aspirations de la population locale.
1. Conflit communautaire sous-jacent
Depuis 2017, les massacres perpétrés par la milice CODECO ont mis en lumière des tensions historiques entre les communautés Hema et Lendu, exacerbées par des perceptions de marginalisation et des luttes pour le contrôle des ressources naturelles. Bien que des poches de coexistence pacifique existent à Bunia et dans certaines agglomérations, les violences armées dans les zones rurales continuent à traduire une méfiance profonde et une instrumentalisation des identités ethniques par des acteurs opportunistes.
Sans un dialogue sincère entre les communautés pour panser les blessures, les tensions continuent d’alimenter des cycles de vengeance et d’instabilité. Il faut donc un mécanisme inclusif, impliquant des leaders locaux crédibles, des associations de jeunes et femmes, des leaders religieux et des représentants de toutes les couches sociales pour garantir un processus de réconciliation durable.
2. Non éradication des groupes armés par l’État de siège
Proclamé en 2021, l’état de siège visait à restaurer l’autorité de l’État et neutraliser les groupes armés. Cependant, après plus de trois ans, les résultats n’ont pas encore atteint la mission et les résultats restent encore mitigés :
— Les groupes armés (CODECO, ZAÏRE, FPIC,CHINI YA TUNA, MAPI, MAI-MAI etc.) continuent de proliférer, certains s’étant même renforcés grâce à des réseaux de trafic d’armes.
— La centralisation de la gestion par le Gouverneur Provincial Militaire et l’exclusion des acteurs locaux originaires de l’Ituri ont creusé un fossé entre les autorités et les populations.
— L’absence de solutions socio-économiques pour désarmer et réinsérer les combattants a laissé les communautés vulnérables à de nouvelles flambées de violence.
Ainsi, quant à non éradication des groupes armés par l’État de siège, le défis reste donc l’évaluation actuelle, qui doit aller au-delà d’un simple bilan pour envisager une transition vers une gouvernance hybride, combinant autorité civile et soutien militaire. Et pour y arriver, cela nécessite :
&. Une réintégration des acteurs locaux dans la gestion provinciale.
&. Un renforcement d’effectif et de la logistique des forces armées, mais également un renforcement de capacité pour accroître leur discipline, leur moral et leur efficacité sur terrain.
3. Politisation de la crise
La crise en Ituri est également devenue un terrain de manœuvre pour des ambitions politiques. Sous le gouvernorat civil de Jean Bamanyisa Saidi, puis sous le régime militaire de Johnny Luboya, les motions de défiance et les contestations ont créé une instabilité institutionnelle et une méfiance sociale où les uns militent pour détruire les efforts attribués aux différents regimes. Les luttes internes entre les élites politiques locales et nationales ont paralysé toute tentative de résolution de la crise qui sévit aujourd’hui en Ituri.
Il est donc impératif de dépolitiser la gestion de la crise en Ituri qui peut passer par :
&. Un consensus national impliquant toutes les parties prenantes, y compris les représentants des Ituriens au Parlement.
&. Un mécanisme transparent pour superviser les décisions clés, comme le maintien, la levée ou la requalification de l’état de siège.
4. Problème des groupes armés
La persistance des groupes armés, malgré les opérations militaires, est symptomatique de failles systémiques :
#. Leur financement repose en grande partie sur l’exploitation illégale des ressources, principalement de l’or.
#. Leur légitimation auprès des communautés marginalisées qui repose sur des promesses de protection ou d’autonomisation face à un État perçu comme défaillant.
Ainsi le désarment durable est la seule solution mais dont les défis nécessitent :
&. Une traçabilité renforcée des ressources naturelles pour tarir les financements des groupes armés.
&. L’adaptation du P-DDRCS aux réalités locales, avec des opportunités économiques pour les anciens combattants.
5. Dialogue et réconciliation communautaire
Les appels à un dialogue intercommunautaire restent jusqu’ici inaboutis, bien que récemment proposé par le cocus des parlementaires nationaux de l’Ituri. Pourtant, cette approche reste cruciale pour une paix durable. L’absence de ce dialogue risquerait de maintenir une méfiance mutuelle entre communautés, renforçant la fragilité du tissu social.
Ainsi, la nécessité de mettre en place une conférence provinciale de paix où toutes les communautés pourront s’exprimer sans crainte ni tabou est à encourager car elle permettra d’élaborer une charte de coexistence pacifique avec des engagements clairs et contraignants pour les parties prenantes.
6. Perspectives politiques
La gestion militaire a momentanément effacé la politique locale de la scène, créant une frustration parmi les leaders civils et les populations. Si la levée de l’état de siège est mal gérée, cela pourrait déclencher une nouvelle vague de contestations politiques et une perte de légitimité des autorités.
La nécessité de la requalification, du maintien ou de la levée de l’état de siège doit réintégrer les Ituriens dans les mécanismes décisionnels et s’appuyer sur des institutions locales renforcées pour garantir une continuité dans la gestion de la province.
7. Le rôle de Kinshasa
L’avenir de l’Ituri dépend en grande partie de la volonté politique à Kinshasa de prioriser cette province. Jusqu’ici, les initiatives gouvernementales ont été perçues comme tardives et déconnectées des réalités locales.
Kinshasa doit donc adopter une approche participative et inclusive pour résoudre la crise, mais également continuer à investir massivement dans des infrastructures, l’éducation et des opportunités économiques pour réduire les frustrations sociales.
Conclusion
L’avenir politique et sécuritaire de l’Ituri repose sur une approche intégrée : réconciliation communautaire, réintégration des acteurs locaux dans la gestion, désarmement des groupes armés, et relance économique. L’évaluation en cours de l’état de siège offre une opportunité cruciale de redéfinir les priorités et de replacer les Ituriens au centre des décisions pour leur avenir. Sans cela, la province risque de sombrer dans un cycle sans fin de violence et d’instabilité.
Deogratias BUNGAMUZI KUKWABO
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