À peine arrivé à Goma, le visiteur le remarque aussitôt : l’eau du robinet a un goût différent, presque salé. Les habitants, eux, en rient : “Mayi ya Goma iko chuvi-chuvi”, disent-ils en swahili « l’eau de Goma est un peu salée ». Mais derrière cette plaisanterie populaire se cache une vraie question : l’eau de la capitale du Nord-Kivu est-elle réellement potable ?
À l’école primaire, nous avons tous appris que l’eau potable doit être incolore, inodore, insipide, non turbide, exempte de microbes et de substances chimiques nocives. Selon les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces critères visent à garantir une eau saine, sans goût ni odeur, et surtout sans danger pour la santé.
À Goma, l’eau de la REGIDESO, le réseau public semble cocher presque toutes les cases : elle est claire, sans odeur marquée, souvent bien désinfectée. Sauf que… le goût intrigue. Un léger arrière-goût salé ou métallique surprend les palais venus d’ailleurs.
Les scientifiques l’expliquent : Goma repose sur un sol volcanique actif, dominé par le Nyiragongo et son lac de lave légendaire. D’après les travaux du volcanologue congolais Charles Balagizi , les gaz émis par le volcan, comme le dioxyde de soufre (SO₂), s’infiltrent dans les pluies et les nappes phréatiques, modifiant la chimie des eaux.
Ces apports naturels augmentent la concentration en ions dissous de sodium, chlorures, sulfates , responsables de ce goût « salé » ressenti par les consommateurs. Autrement dit, le volcan laisse son empreinte jusque dans nos verres d’eau.
“Ce n’est pas que l’eau est sale, elle est simplement minéralisée différemment”, explique un technicien de la REGIDESO sous couvert d’anonymat. “Les roches volcaniques enrichissent naturellement l’eau en sels minéraux.”
La principale source d’approvisionnement de Goma reste le lac Kivu, puisé et traité dans les installations de la REGIDESO. Après les éruptions volcaniques de 2002 et 2021, plusieurs conduites et stations de pompage ont été endommagées. Des organismes comme l’UNICEF et le CICR ont depuis appuyé la remise en service et la sécurisation du réseau.
Malgré ces efforts, la demande dépasse largement la capacité de production, et certaines zones ne sont desservies que de manière intermittente. Dans ces conditions, les variations de qualité peuvent survenir, notamment lors des interruptions ou des travaux sur les conduites.
Face à ce goût inhabituel, de nombreux Gomatraciens préfèrent l’eau embouteillée, comme Rwenzori, Jibu, Aqua Vita ou Virunga Water. Pour eux, ces marques inspirent plus de confiance, surtout après les crises volcaniques.
“L’eau du robinet, je l’utilise pour laver et cuisiner, mais pour boire je prends du Rwenzori”, confie Grâce, une habitante du quartier Himbi. “Je n’aime pas le goût, c’est tout.”
Une réaction plus culturelle que scientifique, selon les experts : le goût n’est pas toujours un indicateur de danger, mais il influence fortement les comportements.
Les analyses disponibles montrent que l’eau de Goma reste globalement conforme aux standards sanitaires, quand le traitement fonctionne normalement. Elle ne contient pas de germes dangereux ni de concentrations toxiques en métaux lourds. Mais son goût particulier ,fruit d’une combinaison entre géologie volcanique, sels minéraux dissous et chloration, la rend difficilement acceptable pour certains consommateurs.
Oui, l’eau de Goma est potable, dans le sens où elle respecte les normes microbiologiques et chimiques essentielles. Non, elle n’est pas “sale”. Son goût distinctif vient surtout du sol volcanique et des minéraux qu’il libère.
Cependant, la REGIDESO gagnerait à publier régulièrement des analyses détaillées (pH, conductivité, taux de chlorures, sulfates, fer, etc.) pour renforcer la confiance du public. Et les habitants, eux, peuvent continuer à bouillir, filtrer ou consommer de l’eau embouteillée selon leurs préférences.
Au fond, l’eau de Goma raconte une histoire : celle d’une ville née sur la lave, où même le goût de l’eau porte la mémoire du volcan.
Jacob Botombe

