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    Un document circule sur les réseaux sociaux depuis ce jeudi 23 décembre 2021 émanant du cabinet du Président de la République, qui nomme au moins 28 personnes comme membres d’une structure dénommée «Task Force » pour une mission de 90 jours en Ituri en vue de procéder à la sensibilisation des groupes armés locaux à déposer les armes et donner une nouvelle chance à la paix.

    Ceci en prévision du début attendu du programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation, DDRC-S.

    Les personnes nommées, sont-elles des leaders ?

    La province de l’ituri fait face depuis décembre 2017 à une situation d’insécurité permanente, provoquée par l’activisme des groupes armés, dont parmi les plus emblématiques il faut noter la Coopérative pour le développement du Congo CODECO, suivie de la Force patriotique et integrationiste du Congo FPIC et la très controversée Force d’autodéfense dénommée Zaïre, tous actifs dans les territoires de Djugu, Irumu et Mahagi.

    Ces groupes de milices sont constitués en majorité des fils du milieu qui malgré plusieurs appels lancés par les leaders de leurs communautés, des séries de dialogues et des signatures d’actes d’engagement à la paix, n’ont jamais accepté de mettre fin aux violences. Ce qui peut mettre en cause le leadership des acteurs souvent envoyés pour les convaincre.

    Et aujourd’hui, le chef de l’Etat décide de recourir encore une fois à des ex-seigneurs de guerre réunis dans cette nouvelle structure dénommée Task Force, dont parmi les plus emblématiques, on note la présence de Thomas Lubanga, président de l’ancien mouvement rebelle d’aubedience Hema, l’UPC devenue parti politique, Floribert Ndjabu, ex chef de la milice d’aubedience Lendu du FNI devenu également une formation politique, ainsi que Pitchou Iribi Mbodina de la milice FRPI actuellement engagée dans un processus de paix avec le gouvernement congolais.

    Félix Tshisekedi avait déjà fait recours à une telle stratégie l’année dernière en envoyant des anciens chefs rebelles sensibiliser les CODECO principalement à déposer les armes, mais là il s’agissait des chef rebelles de la tribu Lendu à laquelle appartiennent la majorité des miliciens actuels.

    Ce qui peut être considéré comme nouveauté avec Task Force, c’est que la présidence de la République a tenu à associer à la nouvelle démarche, des ex-seigneurs de guerre de l’autre tribu rivale dans cette partie du pays, les Hema, ainsi que des personnalités issues d’autres communautés.

    On note également sur la liste quelques jeunes intellectuels n’ayant jamais été dans les groupes armés, qui ont été mis en contribution en qualité soit « d’experts » pour les uns et de « consultants » pour les autres.

    En gros on trouve dans cette composition, des ituriens de tous les 5 territoires, outre les Lendu et les Hema de Djugu et Irumu, notamment des Alurs, des Nyali, des originaires de Mambasa et d’Aru.

    Peut-on espérer de cette nouvelle tentative une solution à la crise sécuritaire ?

    Il vous souviendra que l’année passée, comme nous l’avons épinglé ci-dessus, la première mission des ex-seigneurs de guerre Lendu, malgré le travail de sensibilisation des miliciens de CODECO qu’elle avait réalisé sur le terrain en territoire de Djugu, poussant plusieurs milliers de combattants à quitter la brousse en vue du début d’un processus de paix, n’a jamais reçu des moyens financiers de l’Etat.

    Les milliers de miliciens de CODECO qui avaient répondu à l’appel, ont attendu pendant des mois, le début de leur cantonnement dans un site pour leur démobilisation, désarmement et réinsertion sociale, mais rien n’a été fait.
    Kinshasa s’est plutôt, dans la foulée, précipité à proclamer l’état de siège, obligeant ainsi les combattants qui attendaient le début du processus de paix, à regagner le maquis, ce qui avait comme conséquence, la fin du calme précaire qui s’observait déjà sur le terrain.

    Certes, on peut espérer que Task aForce peut reprendre les négociations et peut-être obtenir de bons résultats, mais le même problème de moyens financiers ne va-t-il plus se poser?

    D’autres observateurs craignent que Task Force contient déjà en lui-même, les stigmates de son échec.

    « Comment des gens au sein de Task Force, qui avaient déjà créé une première structure nommée G5, regroupant les 5 communautés qui se considèrent comme principales victimes de l’activisme des groupes armés en territoire de Djugu, vont aujourd’hui, se transformer en sensibilisateurs de leurs bureaux ? N’est-ce pas contradictoire ? » s’interroge un observateur que buniaactualite.com a rencontré.

    Logiquement, lorsque deux personnes sont en conflit, il faut une troisième, beaucoup plus neutre, pour les départager.

    Bien que nos trois communautés Hema, Bira et Lendu se disent ne pas être en guerre les unes contre les autres, mais une crise de confiance est manifeste dans leur chef.

    Peut-on vraiment attendre que les miliciens de CODECO, appartenant en majorité à la tribu Lendu, vont écouter l’appel venant d’un Thomas Lubanga, qui lui est issu de l’autre tribu rivale, Hema ?

    N’est pas là une nouvelle démarche dont l’échec est prévisible ?

    A ce sujet nous sommes en droit de nous poser plusieurs questions :

    Qu’est ce qui n’avait pas marché avec la première mission des ex-seigneurs de guerre pour espérer que cette fois-ci c’est la bonne ?

    L’actuelle équipe envoyée par la présidence de la République, où l’on remarque d’ailleurs en majorité des personnes qui n’ont aucune influence sur les groupes armés, aura-t-elle plus d’impact sur le terrain ?

    Qu’est-ce qui garantit que cette fois-ci le travail qui sera fait par Task Force ira jusqu’à sa fin et son rapport reçu par le chef de l’État ?

    N’était-il pas judicieux de commencer par exploiter le rapport du travail qui avait été fait par la première équipe, au lieu de perdre du temps en créant Task Force qui parrait aux yeux de certains, comme une structure de trop ?

    Et que devient l’état de siège dans tout ça, si des nouvelles négociations vont être engagées avec les groupes armés, impliquant de facto l’arrêt des opérations militaires et l’observance d’un cessez-le-feu ?

    Autant de questions au sein de l’opinion publique en Ituri, qui appellent à une profonde réflexion pour tenter d’y répondre.

    Ce qui est évident, c’est que les groupes armés locaux de Djugu et d’Irumu ont déjà manifesté leur volonté de déposer les armes pour un processus de la paix.

    A l’annonce de la création les mois derniers du programme DDRC-S, la principale faction de CODECO, l’URDPC avait même fait un communiqué allant dans ce sens.

    Même à la délégation envoyée il y a peu par le chef d’état-major de l’armée pour les rencontrer, la volonté de faire la paix n’a pas été cachée même si pour cela, les rebelles ont posé plusieurs conditions, notamment la tenue sur place à Djugu, d’une table ronde où des représentants du pouvoir central devraient impérativement prendre part.

    Mais à notre avis, les préalables suivants doivent être observés:

    • La délégation des sensibilisateurs doit cette fois-ci se munir des moyens financiers nécessaires pour mener à bon port leur mission, notamment le cantonnement des miliciens pour un début effectif du processus de leur démobilisation et qdésarmement.
    • Pas de sorties médiatiques allant dans le sens de soutenir des acteurs ou des hommes politiques membres de la délégation, ce qui pourrait encore répandre des rumeurs nuisibles à la suite du processus, exactement comme ce fut le cas de la première mission.
    • Le programme DDRC-S devra immédiatement suivre cette mission de sensibilisation, toute sorte d’élasticité de la démarche pourrait éloigner les chances de réussite.
    • La délégation ne devrait pas y aller en état de faiblesse, en dorlotant les miliciens, un accompagnement militaire restera nécessaire.
    • Il aurait fallu commencer par achever le désarmement de la FRPI, cette vieille milice active dans le sud du territoire d’Irumu, qui avait déjà signé un accord de paix avec Kinshasa mais dont la mise en œuvre se fait toujours attendre, en ce qui concerne notamment le vote par l’assemblée nationale d’une loi sur l’amnistie générale, la reconnaissance des grades et la réinsertion au sein des FARDC des rebelles qui le souhaitent.

    Pour clore cette analyse, nous voulons souligner que Task Force sera peut-être l’une des dernières occasions offertes aux ituriens eux-mêmes pour tenter de mettre fin à leur différend. En cas de réussite, ce sera une fierté pour toute la province.

    Mais si Task Force se révèle être une autre farce, une structure de trop qui vient s’ajouter à la panoplie d’autres qui existent déjà, alors l’Ituri pourrait plonger dans une grave crise aux conséquences que personne n’ose imaginer.

    Marcus Jean Loika

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