Archives

    À Bunia, capitale de la province de l’Ituri (RDC), les voix radiophoniques se mêlent au tumulte quotidien. Derrière les micros et les claviers, des femmes et des hommes donnent vie à l’information. Ils sont journalistes, souvent dans l’ombre, animés par la passion, mais confrontés à des défis étourdissants. Portraits croisés de ces artisans de la vérité dans une région marquée par l’insécurité et le silence imposé.

    Un vétéran du micro, du sketch à l’investigation.

    « Je suis journaliste depuis 2015, mais c’est en 2018 que j’ai vraiment compris la puissance de ce métier », confie un reporter local, voix familière de nombreuses radios de la ville. Inspiré par son frère, ancien comédien dans une radio communautaire, il a troqué les sketchs humoristiques contre le journalisme d’enquête.

    Ce virage s’est construit dans l’auto-formation et l’observation.

    « En comparant nos radios aux grandes chaînes internationales, je me suis dit : pourquoi ne pas faire mieux ici ? », raconte-t-il. Aujourd’hui, il maîtrise la technique, l’animation, le reportage et mène des analyses approfondies.

    Mais le revers du micro est amer :

    « En RDC, les journalistes sont parmi les moins bien rémunérés. À Bunia, rares sont les radios qui paient. Sans passion, on abandonne ».
    À cette précarité s’ajoutent des logiques d’exclusion. « Certains groupes verrouillent l’accès aux infos pour capter les enveloppes. Mais on innove et on s’adapte ».

    Un jeune reporter : le poids de l’auto-censure.

    À 27 ans, un autre journaliste collabore depuis quatre ans avec une radio communautaire. Il n’a jamais reçu de menace directe, mais la pression est constante.
    « Même sans intimidation, on se retient. Quand un confrère est menacé, on préfère se taire ».
    Dans une province en état de siège, la peur étouffe les mots.

    Il raconte les difficultés d’accès à l’information fiable :
    « Les autorités minimisent souvent les chiffres. Mais si on les contredit, on s’expose. »

    Son conseil aux débutants : « Travaillez dur, démarquez-vous. Les formations ?, c’est une affaire de réseau. Les nouveaux doivent se faire un nom ».

    Une voix rurale oubliée : « Nos histoires comptent aussi ».

    Dans un territoire reculé, un journaliste local exprime d’une autre frustration : l’exclusion géographique.
    « Tout se passe en ville. Nous, en zones rurales, on est oubliés. Pourtant, on est au plus près des réalités ».

    Les radios communautaires rurales sont pourtant des piliers essentiels d’information.
    « Les organisateurs doivent penser à nous. Nos communautés ont des récits à partager ».

    Entre discrimination et espoirs : bâtir une presse équitable

    Tous dénoncent une presse à deux vitesses. Des « clans » captent les ressources, bloquant les jeunes ou ceux qui ne sont pas dans le bon cercle.
    « Certaines rédactions excluent pour mieux régner », regrette un formateur.

    Mais tout n’est pas sombre. Des formations internationales encouragent la parité, la rigueur, et l’inclusion.
    « Ce métier exige une remise en question permanente », insiste autre un encadreur. Des associations militent aussi pour une loi sur l’accès à l’information, essentielle pour responsabiliser les sources publiques.

    Un hommage à la résilience des journalistes de l’Ituri.

    À l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse, un message d’encouragement est adressé aux journalistes de la province :
    « De Bunia à Mahagi, d’Aru à Mambasa, d’Irumu aux territoires meurtris de Djugu… vous êtes la voix des sans-voix, malgré les menaces. Vous êtes la mémoire vive de cette terre ».

    Dans une interview accordée à l’OLPA, un appel fort est lancé :
    « La crédibilité vient de la rigueur. Respectez le code d’éthique et de la déontologie, protégez vos sources. Quand une source vous fait confiance, c’est que vous avez gagné votre statut. C’est ainsi que le journalisme devient un bouclier pour la démocratie ».

    Malgré l’insécurité, les pressions politiques, les contraintes économiques, ces journalistes anonymes tiennent bon. Leurs voix racontent plus que l’actualité : elles tracent les contours d’une démocratie en construction. Et dans cette bataille pour la vérité, ils avancent, soldats armés de stylos, de micros et de courage.

    Grâce Kasemire

    Leave A Reply

    error: Content is protected !!