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    En dépit des annonces des autorités congolaises, peu d’opérations militaires ont été menées depuis l’entrée en vigueur de l’état de siège, et la sécurité des civils s’est dégradée dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.

    Reprise du contrôle de la Route nationale 27, de l’axe Mbau-Kamango, « libération » de diverses localités de l’emprise de groupes armés des territoires de Djugu et Irumu, « neutralisation » de membres des Forces démocratiques alliées (ADF) ou de leurs collaborateurs…

    Au vu des déclarations des autorités, on pourrait croire que de multiples offensives victorieuses ont été lancées par l’armée depuis le début de l’état de siège, le 6 mai, que la situation sécuritaire serait en passe d’être maîtrisée.

    Les données du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) peignent pourtant une image différente de la situation. Depuis l’annonce de l’état de siège par le président Félix Tshisekedi, le 30 avril, la sécurité des civils s’est en réalité globalement dégradée dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.

    Le KST y a enregistré la mort d’au moins 223 d’entre eux en mai, contre 198 en avril.

    Les massacres de Boga et Tchabi, sur le territoire d’Irumu, qui ont fait 55 victimes civiles dans la nuit du 30 au 31 mai (journée la plus meurtrière jamais enregistrée par le KST) y ont largement contribué. Mais, d’un mois sur l’autre, le bilan s’est également aggravé sur le territoire de Beni (74 civils tués en mai, contre 47 en avril) et sur celui de Mambasa (35 civils tués au mois de mai, contre 3 en avril). 

    Il est par ailleurs difficile de déceler une véritable augmentation de l’activité des FARDC pendant cette période. Ainsi, le KST a enregistré 29 affrontements impliquant les FARDC en mai, contre 26 en avril.

    Aucun chef de groupe armé identifié par le KST n’a d’ailleurs été tué ou arrêté par les FARDC ou la police – un chef Mai-Mai, Jackson Muhukambuto, a été arrêté le 8 juin 2021, mais par l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN). 

    Progrès très localisés 

    Alors qu’en est-il des récentes annonces du gouvernement ? Début juin 2021, Kinshasa a, par exemple, annoncé la pacification de l’axe Mbau-Kamango, sur le territoire de Beni. Or la réouverture de cet axe avait déjà été annoncée en septembre 2020 par le ministre de la Défense de l’époque et aucun incident n’a été enregistré sur cet axe par le KST en 2021. Difficile d’en attribuer le mérite à l’état de siège…

    Pour autant, quelques annonces des FARDC se sont vérifiées sur le terrain.

    L’armée congolaise a ainsi progressé le long de la route nationale 27, qui relie Bunia à l’Ouganda. Au moins dix membres de la Codeco-URDPC, qui occupaient diverses localités de cet axe, ont été tués. Depuis, ce groupe a largement quitté cette route, et les incidents s’y sont raréfiés.
    Les FARDC ont également repris la ville de Nyakunde, près de Marabo (territoire d’Irumu) et divers villages alentour aux Chini ya Kilima-FPIC. Onze miliciens ont été tués et quatorze arrêtés. Mais il est difficile de savoir si cette offensive est véritablement liée à l’état de siège : elle a débuté le 2 mai, soit après l’annonce de la mesure, mais avant son entrée en vigueur. Et cette offensive s’est faite au prix d’un bilan lourd pour les civils, comme nous le verrons. 

    Enfin, si une dizaine de membres des ADF ont effectivement été tués près de Halungupa (territoire de Beni) le 9 mai, les FARDC ont perdu au moins autant d’hommes les jours suivants. Surtout, cela n’a pas permis de maîtriser le nombre de massacres perpétrés par les ADF. Bien au contraire : le KST a enregistré la mort de 98 civils dans des attaques attribuées à ce groupe en mai, soit près du double du mois d’avril (53). 

    Par ailleurs, une série de massacres a été perpétrée près de Biakato, sur le territoire de Mambasa, zone dans laquelle les ADF ne s’étaient jamais aventurés jusque-là. Ils semblent donc poursuivre leurs représailles contre les civils et l’extension de leurs zones d’opérations – un processus à l’œuvre depuis le début des opérations d’envergure contre eux, déclenchée en octobre 2019.

    Sur le plan des mesures extra-opérationnelles, les FARDC ont annoncé avoir arrêté trois soldats, soupçonnés de liens avec les ADF, même s’ils se sont refusés à donner tout détail. Des efforts de coordination des services de renseignement de la région déjà en cours se sont poursuivis, avec l’organisation d’un atelier à Goma début mai, même si ce dernier était vraisemblablement prévu bien avant l’annonce de l’état de siège. Ce type de mesure pourrait avoir un impact positif à long terme. Mais en l’absence de davantage de détails sur leur substance, il est difficile d’en juger. Leurs effets éventuels ne sont en tout cas pas visibles pour le moment.

    L’attitude de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco), cible de manifestations au Nord-Kivu au mois d’avril, n’a pas, non plus, radicalement changé sur le terrain. Elle a mené un bombardement aérien contre un camp des ADF le 14 mai, ce qui n’était plus arrivé depuis plusieurs années. Néanmoins, selon plusieurs sources onusiennes, cette opération était prévue avant la proclamation de l’état de siège. 
    La Monusco demeure engagée dans la réforme de sa Brigade d’intervention (FIB), avec notamment la création de quatre « Forces de réaction rapide » de 150 casques bleus chacune, composées de troupes kenyanes, népalaises, sud-africaines et tanzaniennes, qui devraient être à même d’intervenir plus promptement. La composante tanzanienne est déjà en fonctionnement. Mais le nouveau dispositif ne devrait être pleinement opérationnel qu’au mois d’août. 

    Surtout, en l’absence persistante de planification conjointe des opérations – absence à laquelle l’état de siège n’a rien changé à ce jour – aucune véritable opération commune de la Monusco et les FARDC n’est possible, ni aucune opération unilatérale d’ampleur des casques bleus n’est prévue. La Mission semble donc pour l’instant cantonnée à réagir aux attaques de groupes armés dans le meilleur des cas. Le KST n’a en tout cas pas enregistré d’affrontements avec les ADF à l’initiative de la FIB depuis 2018.

    Enfin, les problèmes liés à l’absence d’un programme de Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) fonctionnel se sont poursuivis. Plusieurs ex-membres du NDC/R Bwira, cantonnés à Rumangabo (territoire de Rutshuru), ont pillé le village voisin de Kayenzi pour trouver de la nourriture quatre jours après la visite du gouverneur militaire de la province, Constant Ndima Kongba.

    Exactions des FARDC en augmentation

    Parallèlement, le nombre de civils tués dans des incidents impliquant les FARDC a nettement augmenté : 32 cas ont été enregistrés en mai, contre 17 en avril. Plusieurs incidents particulièrement graves se sont produits en Ituri. Après la reprise de la ville de Nyakunde par les FARDC, ces dernières ont tué sept civils au cours d’opérations de ratissages dans le village de Nongo le 2 mai et huit dans les villages de Banikasowa, Ndenge I et II le 15 mai. Dans leur communication, les FARDC ont affirmé que les personnes tuées le 15 mai étaient toutes des miliciens. Mais la présence de femmes et d’enfants parmi les victimes, attestée par plusieurs sources, rend cette affirmation peu convaincante. Au-delà des exactions elles-mêmes, ce type de violence peut durablement aliéner la confiance de la population en les FARDC, ingrédient pourtant nécessaire au succès de toute opération contre-insurrectionnelle. Une grande partie des habitants de la zone a du reste fui la zone depuis le début des opérations.

    Par ailleurs, une femme a été tuée après avoir refusé les avances d’un soldat à Nizi (territoire de Djugu) le 16 mai, un civil a été tué après avoir été pris par un milicien à Djaiba le 16 mai, et un civil a été tué lors d’un raid de FARDC contre le site minier à Malindi-Buo (territoire de Mambasa) le 20 mai. 

    Les problèmes liés au respect des droits humains étant anciens, et les opérations contre les Chini ya kilima-FPIC ayant été déclenchées avant l’entrée en vigueur de l’état de siège, il est difficile de certifier que ces nouvelles exactions sont liées à la mesure. Néanmoins, il ne peut être exclu qu’une partie au moins de ces incidents soit liée à un sentiment d’impunité renforcé chez certains membres des FARDC suite à l’annonce de l’état de siège.
    Car au-delà de l’impact militaire, l’état de siège a eu aussi – et peut-être surtout – des effets psychologiques, juridiques et politiques, susceptible d’affecter les dynamiques de violence à plus long terme. 
    Ils ont permis aux FARDC de prendre le contrôle des institutions civiles des entités locales (les provinces, depuis le 6 mai, mais aussi les villes et territoires depuis le 26 mai).

    La Rédaction

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