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    Le 06 mai 2021, l’espoir de toute la communauté iturienne, ou presque, était reposé sur un concept peu connu : « état de siège ». Les animateurs de cette administration spéciale, ont eu à rassurer, dès le début, de faire quitter la province de l’Ituri de « l’ombre vers la lumière ». 2 ans après, soit jusqu’au 05 mai 2023, la situation sécuritaire est devenue « chaotique », l’Ituri est « à feu et à sang ».

    Un espoir de « trop » ?

    La phrase la plus célèbre relayée quasiment par tous les médias locaux, nationaux voire internationaux était : « je serai sans état d’âme ». C’est la partie la plus importante marquant le tout premier discours du lieutenant-Général Luboya N’kashama Johnny, qui prenait ainsi officiellement ses nouvelles fonctions du « Gouverneur Militaire de l’Ituri et commandant des opérations militaires ». Et a été secondé, quasiment durant tous les deux ans, par l’actuel patron de la Police nationale congolaise (PNC), le nouveau commissaire général, Benjamin Alongaboni.

    Une phrase presque magique, qui a suscité l’espoir de « tout un peuple » à recouvrer « soudainement » la paix, une paix qui était déjà devenue une denrée rare en Ituri. En mai 2021, le gouverneur Luboya trouve une « province meurtrie », avec pour objectif principal : « faire régner la paix ».

    Le gouverneur Luboya faisait vivre la population avec l’espoir, un espoir qui est devenu de trop car, chaque jour, ou presque, la province de l’Ituri continue à compter ses morts, devenant ainsi la partie de la République Démocratique du Congo (RDC), enregistrant régulièrement des tueries des civils.

    Lors de sa deuxième mission en-dehors de la ville de Bunia, en début de l’état de siège, l’autorité provinciale et le comité provincial de sécurité, s’étaient rendus ensemble à Gety, fief du groupe armé FRPI.

    « J’étais moi-même ici il y a 9 ans pour le problème de la FRPI, mais je constate que la souffrance de la population continue. Je ne viens combattre personne à Gety, je ne viens que pour la paix. Mais les ADF, nous devons les combattre ensemble », avait déclaré, le 19 mai 2021 à Gety, le lieutenant général Luboya N’kashama à la population de Gety. A la FRPI, le gouverneur leur avait demandé d’être disponible : « Je leur ai demandé d’être prêts. Le programme de démobilisation DDRC arrive bientôt. Ceux qui ont les armes doivent les déposer, il y a des moyens pour ça », avait-il dit.

    Déjà, le ton de discours a semblé changé à partir de cette visite de Gety (Irumu). A la place de maintenir la pression sur les groupes armés locaux, le gouverneur Luboya s’est plutôt montré coopérant envers eux, mais dur envers les ADF. La promesse par rapport au début du désarmement, a été utopique. Des ADF qui continuent d’ailleurs à tuer, malgré la présence de la coalition FARDC-UPDC.

    Aucun groupe armé neutralisé, mais bien au contraire…

    Quand le président de la République Démocratique du Congo (RDC), Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo prenait l’ordonnance portant instauration de l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu, beaucoup s’attendaient à voir la neutralisation de tous les groupes armés. Un autre espoir transformé au désespoir.

    De 12 groupes armés avant l’état de siège, l’Ituri en compte aujourd’hui au moins 20.

    A en croire une publication de la radio onusienne, en date du 03 mai 2021, soit 3 jours avant le début de l’état de siège, l’Ituri comptait environ 12 groupes armés actifs. 2 ans après, 8 autres se sont ajoutés sur cette liste.

    « Il y a un travail qui a été produit qui relève de manière très arithmétique que la province de Tanganyika compte 19 groupes armés nationaux, zéro groupe étranger, le Maniema 20 groupes armés, zéro groupe étranger, le Sud-Kivu 136 groupes armés dont 5 étrangers, le Nord-Kivu a 64 groupes armés dont sept étrangers et l’Ituri a 20 groupes armés dont deux étrangers », avait aussi déclaré, Tommy Tambwe Ushidi, le mardi 18 avril 2023. Il est le coordonateur national du Programme de Désarmement, Démobilisation, Relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRCS ).

    Il ressort de ce constat qu’à la place de favoriser la neutralisation des groupes armés, l’avènement de l’état de siège a plutôt cédé un « couloir » de la naissance d’autres milices. D’ailleurs, en janvier 2023, devant la presse, le gouverneur militaire Luboya avait reconnu n’avoir pas réussi à neutraliser même un seul groupe armé.

    Zaïre, CODECO, MAPI, FPIC, Maï-Maï, Chini ya Tuna, ADF, … et d’autres bandits armés, ne cessent d’endeuiller la province de l’Ituri. Des morts, l’on en compte par dizaine chaque mois. Irumu, Djugu, Mambasa, Mahagi sont touchés par cette Insécurité. Bunia et Aru ne sont pas épargnés. Malgré les efforts de l’armée et de la police, rien ne va encore « totalement ».

    Depuis le début de l’état de siège, plus de 2.500 civils ont été tués, selon une récente communication de l’UNADI, structure réunissant toutes les 21 communautés de l’Ituri. A cela, il faut ajouter des milliers de maisons incendiées, des bétails emportés et d’autres dégâts matériels. Une situation qui fait qu’aujourd’hui, de nombreux villages soient toujours inoccupés. Des milliers de familles sont inconsolables, et des centaines de milliers de personnes demeurent sous état de traumatisme. l’Ituri est entrain de brûler à petit feu.

    Signature d’acte d’engagement de « façade »

    L’un des points positifs de l’état de siège, durant ces deux ans, sous le leadership du lieutenant-Général Luboya N’kashama Johnny, c’est d’avoir réussi à amener plusieurs groupes armés à adhérer au processus de paix, impliquant la cessation des hostilités contre la population civile et des militaires. La RN 27 a été de nouveau praticable, des miliciens CODECO y ont été délogés.

    CODECO, FPIC, Maï-Maï ou encore le fameux MAPI, tous ces groupes armés ont témoigné leur volonté de faire taire les armes. Ils ont rejoint la FRPI, la plus vieille milice de l’Ituri, ayant signé un accord de paix avec le gouvernement congolais, en 2020. Mais je constate, comme beaucoup d’autres analystes, que cette signature était de « façade ». D’un côté, des groupes armés estiment être en processus de paix, et d’autre ils continuent à tuer. Le principal prétexte : « nous nous défendons face aux provocations ». Pourtant, le 27 janvier 2023 en territoire de Djugu (sur la RN 27), pour ne pas citer d’autres cas, la milice CODECO a lâchement assassiné une dizaine de militaires des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC), parmi lesquels des officiers supérieurs.

    Il y a lieu de conclure, selon moi, qu’il y avait une précipitation dans cette série de signatures d’actes d’engagement, sans définir les limites des uns et des autres. Une simple médiatisation pour faire croire à l’opinion que tout va dans le bon. Mais il faut aussi reconnaître, à un certain niveau, que « cette signature » a apaisé la situation pendant un moment. Du côté de la milice FPIC, à part quelques cas de pillages de bétails, la capacité de nuisance de cette milice a sensiblement diminué.

    Il y a donc des points forts et faibles. Sous toujours Luboya, un groupe de miliciens de la CODECO et FPIC a décidé de déposer les armes. Là encore, les histoires ne sont pas claires. Avant de demander aux groupes armés de déposer les armes, il y a intérêt de diminuer tout d’abord leur capacité de nuisance, ce que certains appellent « mener des opérations militaires de grande envergure ».

    Mais c’est une étape importante à saluer. Même si l’on parvient à récupérer ne fût-ce qu’une seule arme des mains des miliciens, c’est déjà un grand pas. Une arme d’un milicien peu facilement tuer des centaines de personnes innocentes.

    Et si on accordait encore 2 autres années à l’état de siège ?

    Tout porte à croire qu’avec les conditions actuelles, l’état de siège a peu de chance de réussir. Son instauration a été non seulement précitée, mais aussi désorganisée. Peu de moyens ont été mis à l’actif du gouverneur Luboya. L’on apprendrait même de détournement au niveau de Kinshasa. 2 autres années supplémentaires ne changeront rien, tant que le même schéma est utilisé.

    Luboya a, à la fois, combiné l’approche militaire et de négociation. Pourtant, pour mieux négocier, il faut déjà être en position de force. Ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui. Si bien que l’armée a réussi à récupérer certains villages des mains des groupes armés, mais beaucoup d’autres restent toujours inaccessibles.

    Aucun groupe armé neutralisé sous état de siège, c’est aussi quasiment pareil par rapport au site de déplacés. Aucun d’entre eux n’a été fermé. Des déplacés y vivent dans des conditions inhumaines.

    Les Ituriens eux-mêmes ont réclamé cet état de siège. Et aujourd’hui, beaucoup parmi eux n’en veulent plus. Mais la question principale persiste : « quelle solution pour sauver l’Ituri ? » En tout cas, difficile de répondre. Mais je suis convaincu que toutes les approches sont louables. Dans l’entre temps, l’Etat congolais devrait et a l’obligation de s’imposer, « d’imposer l’autorité de l’Etat » sur chaque périmètre du territoire national. C’est l’Etat qui a le monopole de la violence et ne doit pas laisser des territoires sous contrôle des groupes armés. Si l’Etat décide de s’imposer, aucun groupe armé ne peut résister.

    L’autre solution, c’est d’assainir le commandement de l’armée. Le chef de l’Etat lui-même, lors de son passage en Ituri, avait reconnu une véritable mafia dans l’armée. Beaucoup vivent de cette geurre, pour ne pas dire bénéficient de l’instabilité sécuritaire en Ituri, et dans l’ensemble de l’Est du pays.

    Kinshasa doit aussi prendre en compte les morts de l’Ituri. Dans de nombreuses situations où des massacres perpétrés par des groupes armés sont enregistrés, aucune journée de deuil national n’a été décrétée par le pouvoir central. D’ailleurs, le gouvernement parle rarement de ces morts. Ce qui montre, dans une certaine mesure, un véritable désintéressement de la situation sécuritaire de l’Ituri.

    L’autre solution est Iturienne. Les ituriens doivent cesser d’accepter d’être manipulés, de s’entretuer sans raison. Tous ces groupes armés peuvent décider de déposer les armes et contribuer à la construction de leur province.

    Pendant que les uns s’appauvrissent davantage, d’autres en profitent pour s’enrichir. L’Ituri est entrain de disparaître sur la carte, le sang des innocents coule presque chaque jour. Chacun a intérêt de s’intéresser et d’agir positivement « vers la recherche de la paix ».

     

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